Dark Side

Fic sur l'univers de Bright City ... Chapitre d'intro :)




Sovereign Bay

"S'il te plaît ..."
L'homme allongé devant elle n'en pouvait plus de la regarder se déhancher sur la pétillante salsa qu'elle s'était permise de mettre sur sa chaîne hifi. Elle saisit la coupe de champagne entre ses doigts aux ongles manucurés et la porta à ses lèvres, dans une expression de totale extase. Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait pas goûté aux joies de la richesse ...
"Viens là, ma jolie ... S'il te plaît, je ne tiens plus ..."
La jeune femme adressa un sourire sensuel à celui qui à présent la regardait avec un air de chien fidèle mêlé de désir: étrange mélange. Ce type était un gros porc, loin d'être sexy: en bref, tout pour plaire. Allez, et qu'on en finisse ... Elle s'approcha de lui et s'installa sur ses hanches. Plus qu'un petit effort ... Elle l'embrassa violemment, simulant un profond soupir de bonheur.
"Je sens qu'on va faire l'amour comme des bêtes !!"
S'il pouvait un peu la fermer ... Il croyait peut être que ça l'amusait? Il était d'un vulgaire ... Vraiment, le tact se perd de nos jours. Pour peu, elle lui aurait donné une gifle. Mais ce n'était pas la peine de tout gâcher maintenant.
Courage ... Elle baissa la tête pour atteindre son cou - depuis combien de temps ne s'était-il pas lavé? - et mordilla sa peau flasque. Heureusement qu'elle avait vu pire: il y avait de quoi vomir. Sans parler de cette abominable odeur de transpiration. Voilà maintenant que le goret se mettait à pousser de petits cris de jouissance qui se transformèrent rapidement en râles saccadés .. Ca se voyait que ça faisait longtemps qu'il ne s'était pas amusé. En même temps, ça ne l'étonnait pas tant que ça. S'il lui en fallait si peu, ça ne devait pas durer longtemps avec lui ..
Dommage, il serait mort avant l'orgasme.
La jeune femme tira un poignard de son porte-jarretelles et avant que l'homme n'ait pu s'en rendre compte, elle lui trancha la carotide d'un coup sec. Une plaie nette, qui fit gicler le sang sur son chemisier déboutonné. Au moins, elle n'avait pas été jusqu'à enlever son soutien gorge, cette fois ... En revanche, on distinguait nettement le scorpion tatoué sur sa hanche, dommage pour lui qu'il ne l'ait pas remarqué, autrement il se serait méfié. Ca avait été du rapide, mais ça faisait longtemps qu'elle n'était pas tombée sur quelqu'un d'aussi repoussant.
Elle se releva, soulagée; l'homme gisait sur le canapé. Quel individu de sexe masculin n'a jamais rêvé de mourir pendant l'amour? Mission accomplie, trop facile.
Elle avait l'habitude des scènes de crime: elle pouvait se mettre parfaitement à son aise. Aussi prit-elle la peine d'utiliser la salle de bain pour se laver de la sueur qui n'était pas la sienne, de cette hémoglobine étrangère, de ce sentiment de frustration de ne pas avoir vu sa victime agoniser plus que cela. Une fois sa toilette terminée, elle embarqua tout ce qu'elle avait touché: serviette, gel douche ... Revenue dans le salon, elle s'occupa de la coupe de champagne. Qu'avait-elle touché également? La chaîne hifi, les CDs, la table ... Non, la table, elle portait encore ses gants. Pour son métier, elle devait être méthodique. Aussi, lorsqu'elle ressentait le besoin de les enlever, à partir de ce moment là elle dressait l'inventaire de tout ce qu'elle touchait. Question de liberté. Elle essuya donc les objets compromettants. Ah, elle avait oublié quelque chose ... Son pourboire. Mordecaï allait lui offrir un butin suffisant venant de son employeur, mais tout de même, on n'est jamais assez cupide. Elle renfila ses gants en satin noir et partit fouiller le porte monnaie de ce cher monsieur. Assez conséquent ... Maintenant, elle n'avait rien oublié, il était temps de quitter cet endroit. Bien sûr, personne n'était au courant de sa venue ici, personne ne verrait le lien entre eux, après tout c'était un notable et il avait trop honte d'avouer qu'il se payait une pute de luxe ... Une pute qu'il n'aura même pas baisé, pathétique. Peut être que s'il avait été meilleur, elle l'aurait laissé en vie une vingtaine de minutes de plus. Elle l'aurait tué à la façon d'une mante religieuse.
Mais quand même ... elle avait beau y repenser, elle n'était même pas passée par les services de l'Informatrice, elle n'avait même pas vu l'homme se transformer ... Un Elu du Dieu Cochon, vous vous en douterez! Parfois la vie est d'une ironie ... Quel intérêt à se transformer en porc? Il l'était déjà sous sa forme humaine.
Cette fois, il était temps de partir. La jeune femme attacha ses longs cheveux noirs, emprunta la porte de derrière, et quitta pour de bon l'immense villa du Cap Orchid qui dominait Sovereign Bay.

Bas Fonds de Bright City - Sword Lane, Siège des Sbires

Il fallait traverser tout un dédale de ruelles aux façades délabrées, jonchées de détritus, ainsi que le quartier des bidonvilles et autres habitations de fortune pour déboucher sur Sword Lane. Même la journée, cet endroit paraissait sombre à cause de la grisaille environnante. On aurait pu croire qu'il y pleuvait même les jours de soleil radieux. Et lorsque l'on se représentait cet endroit, on imaginait toujours les crimes nocturnes les plus sordides, le danger à tous les coins de rues, la misère la plus noire pour certains. C'était pour cela que l'on avait nommé ce quartier Curse Borough, le quartier des maudits. Dans une ville comme Bright City au coeur de l'économie capitaliste, il n'y avait aucune place pour les exclus de l'argent.
Sword Lane était globalement la rue en meilleur état. Les Sbires s'y complaisent, beaucoup plus qu'en plein Bright City Center. Avec tous ces gratte-ciels autour, vraiment ... Leur association était bien sensée être illégale, pourtant leur siège n'était jamais la cible de descente. La police savait bien qu'il fallait fermer les yeux sur certaines choses, à moins que l'on ne tienne ni à sa vie, ni à celle de ses proches.
La jeune fille parvint devant l'entrée. Elle montra rapidement son badge, mais de toute façon ici, on la connaissait. Elle était l'une des plus prometteuses, peut être monterait-elle un jour au poste de sous-chef. Pas de brigades chez les Sbires: ils agissaient presque toujours seuls, comme des loups solitaires. D'ailleurs, ils n'avaient pas besoin d'être plusieurs, un seul Sbire était déjà assez compétent pour venir à bout de 7 personnes bien entraînées au combat. Lorsqu'on s'engageait dans la communauté, il fallait s'attendre à travailler d'arrache pied pour acquérir une spécialité - armes, arts martiaux ... - et développer énormément sa rapidité et son agilité. Les Sbires sont parfois comparables à des ombres. Comme le Scorpion, ils délivrent leur venin rapidement, sournoisement. Pourquoi l'avoir choisi comme emblème? Car le Dieu Scorpion, Ezwan, fut le seul déchu, trahi par son ami le Dieu Serpent Kazo. On raconte que ce dernier avait commis un acte extrêmement grave - perdu dans la légende - et l'avait laissé accuser car on savait son âme aussi noire que l'ébène. Ezwan quitta les autres Dieux, et dès lors fut considéré comme le paria par excellence.
Bien entendu, ceci faisait partie de la mythologie. Les croyances des anciens prêtres ont peu à peu dérivé sur d'autres dieux, à forme humaine cette fois ci. Il y a peu de temps, les Dieux Animaux ont décidé de réaffirmer leur puissance, ne supportant plus de voir leur culte dépérir. Alors, ils choisirent chacun un Elu, devenant capable de se transformer en l'animal qui l'avait choisi. Ces Elus furent nommés les Morphs. Ils provoquèrent de la peur, de l'intérêt, aussi bien moral qu'économique ... Dès lors, ils furent traqués sans cesse, soit pour que l'on découvre leur secret et qu'on les séquestre en laboratoire toute leur vie, soit pour des raisons religieuses ... Ou pour bien d'autres choses. Alors, la communauté des Sbires naquit: tueurs à gages ou simples chasseurs, on les engageait pour attraper un Morph. De vrais spécialistes.
Un instant, la jeune fille avait été submergée par ses pensées: maintenant, elle se trouvait devant le bureau du Chef des Sbires: Mordecaï. Elle poussa la porte, et fut accueillie comme à son habitude.
"Lauren, mon ange noir ... Tu prendras bien un verre de vodka?"
Mordecaï était loin d'être quelqu'un entrant dans la norme. En effet, il devait bien avoir 35 ans; ses longs et fins cheveux argentés tombaient dans son dos, recouvrant son corps mince mais extrêmement musclé, et quelques mèches de devant venaient se perdre sur le bandeau qu'il portait sur l'oeil. Une mission qui avait mal tourné. Les traits de son visage étaient durs, son expression imposait le respect; mais cela ne voulait pas dire qu'il avait forcément l'air méchant. Bien au contraire, il avait l'habitude de traiter ses subordonnés d'égal à égal, n'hésitant pas à les tutoyer et faisant régner une ambiance bon enfant. Une personnalité qui tranchait avec celle qu'on lui connaissait dans le métier. Il était extrêmement redoutable: il faut toujours se méfier des apparences.
"Oui Mordecaï, je veux bien, avec du jus d'orange s'il te plait.
- Comme tu le désires. Alors, cette mission? Tu as réussi à tuer Svandorg?
- C'était même trop facile. Son concurrent pourra dormir sur ses deux oreilles, sa richesse est faite. La mienne aussi d'ailleurs, j'aimerais récupérer mon dû.
- Le voici."
Un sac plein de billets, un total d'environ un million de Moyins, la monnaie locale. Du travail mâché ... Elle n'avait même pas eu à se fatiguer! Sans compter son autre compensation ...
Elle aimait beaucoup ces moments, où elle revenait de mission. Elle pouvait parler avec Mordecaï de ces pulsions meurtrières qui l'habitaient, prendre le meurtre sur le ton de la conversation la plus banale ... Ici, elle se sentait normale, parmi ses semblables.
"Trop facile, dis tu?
- Le plus dur a été de me forcer à le séduire ... Mais dès le moment où j'ai vu sa gorge offerte, je n'ai pas pu résister ... Je devais arrêter ça ...
- Tu n'aimes toujours pas ça. L'amour.
- Non, ça n'a rien à voir! Tu l'aurais vu, comme il était repoussant, tu ...
- Lauren, tu sais très bien de quoi je veux parler. Je commence à te connaître. On t'aurait donné un petit canon que tu aurais réagi pareil ..."
La jeune femme préféra rester silencieuse. Il marquait un point ...
"Je n'ai pas envie d'en parler.
- Excuse moi.
- Mordecaï, je pense que je vais y aller. Je n'ai qu'une envie, c'est de rentrer chez moi, me détendre un peu.
- Ne me dis pas que tu es bouleversée de ...
- Tu sais bien que j'adore tuer. Non, je ne sais pas ...
- Je n'aurais pas du t'envoyer sur cette mission, Svandorg est réputé pour être un gros pervers frustré. Tu n'étais pas non plus obligée d'aller si loin ...
- Ce n'est pas grave, c'est mon boulot.
- Ton boulot, c'est Sbire, pas prostituée. Mais d'un côté, je suis fier de toi. Tu n'as pas peur de dépasser tes limites. Et c'est une qualité si bien vue chez les Sbires ...
- Merci beaucoup. Allez, à bientôt."
Lauren quitta la salle après un dernier sourire froid pour Mordecaï. Au moins, elle n'avait pas besoin de jouer un rôle, tout le monde ici savait qu'elle avait un coeur de glace. Un coeur glacé par la vie, par son passé ... Elle quitta le Siège d'un pas leste. On verrait bien où la mènerait sa marche, elle n'avait pas de but particulier ...

Rainbow Town

Le soir tombait sur la ville qui peu à peu sortait de sa routine de la journée. Enfin, toute la ville, excepté le quartier de Rainbow Town, qui avait été nommé comme cela du fait de ses néons multicolores qui illuminaient les rues commerçantes. Mais cet endroit possédait une autre particularité: il n'était jamais vide de monde, toujours animé. Le jour, les adeptes de shopping s'y pressaient; on y trouvait les meilleures boutiques ainsi que les meilleurs restaurants, pour les inciter à rester sur place ... La nuit, les bars ne désemplissaient pas, les discothèques non plus. Rainbow Town était donc le point de rendez-vous des fêtards comme des plus précieux.
Assis sur un banc, récupérant de sa promenade solitaire au milieu de la foule, un jeune homme dégustait sa glace à la banane. Aujourd'hui avait nécessité un grand effort de sa part; d'habitude, il restait cloitré chez lui, à regarder la télévision et à attendre que le temps se passe. Mais cette fois ci, il avait décidé de changer de rythme de vie. Un tour à Rainbow Town pour vaincre sa timidité maladive lui avait paru la meilleure solution ... Certes, il ne s'attendait pas à faire une rencontre aujourd'hui. Mais au moins, il avait pu se rassurer en se rendant compte qu'il n'était pas agoraphobe. C'était toujours ça de gagné.
Alors, comme tout habitant de Bright City qui flânait devant les vitrines des boutiques, il avait fait un peu de shopping ... Pas grand chose, il n'était pas matérialiste. Juste une chemise noire qui contrastait artistiquement avec ses longs cheveux raides et cuivrés, et qui faisaient ressortir ses admirables yeux verts.
Mais maintenant qu'il n'avait plus rien à faire, qu'il venait de terminer son cornet, il décida qu'il était l'heure de rentrer. Avant de se lever, un journal attira son attention. En première page, la mort sordide de Svandorg, géant de l'industrie informatique. C'étaient Feldback et son rival qui allait être contents ... Comment s'appelait-il déjà? Ah oui ... Goldfinger. Ridicule, encore un parano qui avait trop regardé la télé et qui préférait se cacher derrière un tel pseudo pour se protéger ... N'importe quoi. Ou alors, c'était le contraire, il pensait l'avoir trouvé seul, sans contribution aucune de Ian Flemming. Les gens sont parfois bêtes à manger du foin, poids lourd de l'économie ou non. Lui même n'avait jamais aimé cette économie capitaliste qui suait l'argent à travers toutes ses institutions ... Bright City en était l'emblême.
Mais pour en revenir à Svandorg ... L'oeuvre d'un Sbire, sans aucun doute. Personne n'était sans savoir que le Goret était l'élu du Dieu Cochon. Comique, n'est ce pas?
Bon, cette fois ci, il était temps d'y aller ... Le jeune homme ne pensait qu'à une chose, son repas de ce soir. Il avait une envie irrépressible de vapeurs chinoises accompagnées d'un délicieux poulet au curry et de riz cantonais. Et pourquoi pas, des brochettes de porc au sésame, c'était tellement délicieux. Avant de devenir obèse, il avait de la marge: son mètre soixante dix ne l'empêchait pas d'être sportif, loin de là.
Il passa donc au traiteur, et regagna sa modeste demeure de Sovereign Bay. Après son repas mérité, il jeta un oeil à travers la fenêtre: la pleine lune illuminait le quartier résidentiel de toute sa lumière argentée. La plage devait être magnifique ... Le doux climat suffit à le convaincre qu'une balade nocturne serait la bienvenue.
Une fois sur le sable, il prit le luxe de retirer ses chaussures ... Le contact rugueux lui caressait les pieds, lui procurant une sensation de bien être qu'il ne ressentait nulle part ailleurs. Seul, il était si bien ... Pourquoi briller en société était-il si difficile? On le disait séduisant. Il n'avait aucun avis là dessus, mais en revanche, ce qu'il savait, c'est qu'il avait peur de prendre la parole en public, peur de se révéler, peur de ...
Un bruit sourd le tira soudainement de ses pensées peu amènes. Par réflexe, il se retourna: personne. Pourtant, il avait l'impression de sentir une présence ... Hum, non, ça c'était le signe qu'il devrait arrêter de regarder la télévision. Comme dans les films ... Ridicule. Il continua donc son chemin dans le sable, essayant de se rassurer, car tout de même il n'était plus tranquille ...
Tout à coup, une ombre, là, dans son champ de vision. Il sursauta violemment, pour se retrouver face à ... Il n'aurait su déterminer le sexe de son agresseur. Mais toujours était-il qu'il se sentait en danger. Un danger imminent, menaçant. Sans réfléchir, il se mit à courir pour lui échapper ...
Cependant, son poursuivant était rapide, lui aussi. Il risqua un regard derrière lui ... Il s'agissait d'un homme, cheveux courts, balafre sur la joue gauche. Des yeux inexpressifs. Il n'en était que plus effrayant.
Mais à ne pas regarder devant soi, on en subit les conséquences. Un faux pas, et il s'étala de tout son long dans le sable. Son sang se glaça lorsqu'il se retourna et qu'il vit son agresseur sortir une dague et la pointer vers lui ...
"Steel! Arrête toi !!"
Une deuxième silhouette venait de faire son apparition. Le jeune homme l'identifia comme une femme. Mais elle n'en imposait pas moins le respect ... Elle avait une voix sèche, autoritaire ... glaciale.
"Qu'est ce que tu fais ici, Lauren?
- Tu vois bien que ce n'est pas celui qui tu cherches!
- Et pourquoi pas?
- Parce que lui n'est pas blond platine.
- ... Et alors ...
- Laisse le tranquille.
- Lauren, depuis quand la mort d'un innocent t'émeut-elle?
- Steel, s'il te plait, ne me force pas à te le répéter: laisse le.
- D'accord ... Je trouve que tu as changé, Lauren. Je ne sais pas si c'est une bonne chose. Je ne sais pas ce qu'en pensera Mordecaï.
- L'avenir nous le dira. Allez, déguerpis, maintenant."
Le dénommé Steel s'effaça rapidement dans la nuit, aussi rapidement qu'il était venu. Lauren resta pensive. Mordecaï en penserait ... ce qu'il en penserait, elle n'en avait rien à faire. Elle avait ses bonnes grâces, il ne lui en voudrait pas.
"Mademoiselle ..."
Ah, l'autre mauviette s'adressait à elle ... Elle ne savait même pas pourquoi elle avait pris sa défense, peut être s'ennuyait-elle ... non, soyons franche, elle n'avait pas envie de voir Steel tuer sous ses yeux. Elle détestait sa façon de faire, cette manière d'éparpiller tous les boyaux ... Quelquefois, il dégustait même sa victime, et ce dernier détail avait pour don de la dégoûter particulièrement. Mais ça, elle ne l'avouerait pour rien au monde.
"Mademoiselle ... Merci."
Encore là, ce vermisseau? C'est bon, qu'il la laisse tranquille maintenant ... Elle avait fait sa crise d'autorité, son caprice du soir - laisser la vie à cette petite vermine, maintenant il était temps qu'il l'oublie.
"La meilleure façon de me remercier serait que tu dégages, et que je ne te revoies plus.
- Mais ... Euh ... Bon, d'accord ..."
Il n'osait même pas répliquer davantage. C'était vraiment un faible, et elle avait horreur de la faiblesse.
"C'était un Sbire?"
Mais il allait la laisser tranquille, bon dieu !! Elle répliqua, à bout de nerfs:
"Oui c'était un Sbire. Et moi aussi j'en suis une. Alors si tu m'énerves trop, c'est moi qui te déchiquète. Je suis lunatique, j'en suis capable. Maintenant, dégage, tout de suite."
Voilà, s'il ne se faisait pas dessus, c'était une bonne chose ... Qu'il n'insiste pas sinon elle allait vraiment finir par être hors d'elle.
"D'accord ... Bonne soirée, alors ..."
Bonne soirée. Non mais en plus il débitait de ces banalités ... Il en était écoeurant. Elle s'apprêta à lui lancer un regard noir, histoire qu'il prenne ses jambes à son cou. Alors, pour la première fois, elle le dévisagea. Et remarqua qu'il était plutôt séduisant, qu'il avait un regard étincelant malgré la peur qu'il devait éprouver. Dommage que ce soit un trouillard. Il lui adressa un sourire gêné, et s'enfuit loin d'elle ... Lauren haussa les épaules, et continua sa ronde nocturne.

Sovereign Bay

Il était encore tôt, mais Lauren était déjà debout. En s'aspergeant le visage d'eau pour achever de se réveiller, elle repensa à la soirée de la veille. L'inconnu qu'elle avait "sauvé" ... Elle ne connaissait même pas son nom. Pas grave, elle s'en fichait comme de sa première chaussette.
Un message de Mordecaï l'avait poussée à sortir du lit: il semblerait qu'il ait une mission pour elle. Quelque chose de plutôt compliqué, apparement. Quelque chose qui lui correspondait du tout au tout: un défi.
Une fois habillée, elle se rendit rapidement au Siège. Le Chef lui adressa un sourire peu amène à son arrivée, ce qui eu pour don de l'inquiéter légèrement.
"Qu'est ce qui s'est passé avec Steel hier soir, Lauren? Qu'est ce qui t'as pris?
- Je n'aime pas voir les autres commettre une bêtise.
- Mais tu as interféré dans sa mission!
- Mais ce n'était pas la bonne cible.
- Et alors?
- Tu réponds la même chose que lui.
- Tu ne réponds pas à ma question.
- Ca m'énerve que l'on tue un innocent.
- Depuis quand?
- Depuis toujours."
Mordecaï la considéra avec un regard strict et interrogateur. Puis soudain, comme s'il venait de trouver la clé de l'énigme, son visage s'éclaira et son sourire se fit moqueur.
"Il était mignon?
- Pas mal.
- Tu es amoureuse!"
Lauren crut qu'elle allait lui enfoncer son poignard dans l'estomac. Ce qu'elle aurait certainement fait s'il ne s'agissait pas de Mordecaï et qu'elle aurait été moins sûre de se faire maîtriser en moins de deux secondes, et pas de la manière la plus délicate. Mais elle se permit de lui lancer un regard noir.
"Je déteste les faibles.
- Je sais ... Je te charie! Ne m'assassine pas du regard comme ça, voyons ... Mais tu sais qu'un timide t'irais bien?
- Arrête. Ca ne me fait pas rire.
- Pardon, je suis désolé.
- Je déteste tous les hommes, voire même toute l'humanité.
- Pourtant, moi, je suis un homme.
- Non, toi tu es un Dieu de la Guerre.
- Tu as raison."
Mordecaï brandit un verre de son éternelle Tequila Sunrise avec un sourire qu'il aurait voulu modeste, mais qui ne cadrait pas avec le fait qu'il venait d'entendre ce qu'il considérait comme le compliment ultime.
"Mais tu ne m'as pas faite venir que pour ça, n'est ce pas?
- Bien sûr que non. D'ailleurs, je comptais t'en parler à l'instant, assez bavardé.
- Qui est-ce? Combien?"
Le Chef se rapprocha de la Sbire avec un sourire de connivence, et baissa la voix comme s'il craignait qu'on ne les surprenne.
"Doliver. 50 000 000 Moyins.
- QUOI?"
Lauren n'avait pu retenir ce cri du coeur, rien qu'à l'annonce du nom. Mais alors, le butin ... C'était presque inespéré. Un rêve éveillé.
"C'est un parrain de la mafia, n'est ce pas? Celui qui tient le cabaret Red Palmer, le Shooting Star et tous les grands restaurants autre que le Gold Palace. Mais de quel Dieu est-il l'Elu?
- Ca, personne ne le sait. On ne l'a jamais vu se transformer, tu te doutes qu'il est très prudent. On est juste au courant qu'il a la cicatrice caractéristique des Morphs ... Qu'il essaye de mettre sur le compte d'une bagarre ayant mal tourné. Mais personne n'est dupe.
- Ce n'est pas impossible.
- La cicatrice semble profonde, et il aurait eu des problèmes à la hanche. De plus, il n'a pas été admis à l'hôpital ces derniers temps, et une telle blessure n'aurait pu évoluer de la sorte sans soins ... Non, c'est sûr à 90% que c'est un Morph.
- Je suis preneuse.
- Je m'en doutais. Cependant, tu dois savoir que sa garde personnelle est redoutable. Tu ferais mieux de t'associer avec quelqu'un.
- Non, je préfère agir seule.
- Comme tu le voudras. Le contrat est à toi."
Lauren poussa un soupir de soulagement. Elle commença dès lors à établir sa stratégie: elle espionnerait sa victime du mieux qu'elle pourrait, se renseignerait sur ses habitudes ... Le plus dur serait de le forcer à se transformer. De la sorte, elle pourrait aller voir l'Informatrice, résoudre son énigme et connaitre la faiblesse de Doliver ...
"Au fait, Mordecaï, qui est l'initiateur du contrat? Un homme comme ça doit avoir plein d'ennemis.
- Le PDG de Synapsos. Bien entendu, c'est le sous PDG Ingray qui est venu porter la demande ...
- Le précieux Ingray ... Pourquoi pas l'un des deux autres?
- Le PDG n'a pas confiance en eux.
- C'est vrai qu'il tient à garder l'anonymat. Mais ... en général, Synapsos pratique des expériences sur les Morphs, alors pourquoi ne pas vouloir Doliver vivant?
- Ils préfèrent ne pas prendre de risques inutiles. Ingray a d'ailleurs demandé une autre mission en parallèle pour avoir un nouveau sujet d'étude ...
- J'en déduis qu'ils n'ont toujours pas trouvé le secret des Morphs.
- C'est une histoire sans fin ..."
Lauren adressa un dernier sourire à Mordecaï, ainsi qu'un signe de la main. Il était temps de se mettre au travail.

Bright City Center

Cela faisait environ deux heures que Lauren attendait en bas de l'immeuble de verre. A l'entrée, des lettres d'or indiquaient son nom: "Gold Lion Building", ce qui avait fait pousser à Lauren un soupir d'agacement. Etait-il nécessaire d'en faire autant, d'étaler sa richesse à tout bout de champ? Tout y faisait référence ici. C'était pour cela qu'elle préférait souvent les Bas Fonds.
Les portes automatiques s'ouvrirent sur une réception luxueuse d'une dimension digne d'un hall d'aéroport d'une ville de province ... Celui de Bright City était démesuré. Un homme vêtu de noir, avec des lunettes noires, venait de sortir; il fut bientôt suivi par une dizaine d'autres. La jeune femme ne put retenir un sourire ironique face au cliché des gardes du corps: ils étaient tellement peu discrets, tellement identifiables que c'en était désespérant. Doliver parut quelques secondes plus tard, encadré par deux autres de ces gorilles. Lauren crut qu'on sombrait dans le vieux film de mafioso: il était vêtu de blanc, avec un cigare à la main et une vraie tête de maquereau. Il lui manquait juste le panama ... Scandaleux.
Lauren se faufila derrière la joyeuse bande, sachant que ce ne serait pas une mince affaire que de s'occuper de leur chef. Elle suivit donc leur parcours sur environ 500 mètres; ils venaient d'arriver dans une rue peu fréquentée, qui menait vers les Babylon Gardens, lorsque soudain, une violente tape sur l'épaule la fit sursauter. Elle se tourna brusquement pour retrouver face à une armoire à glace qui n'était pas vêtu d'un uniforme: aussi ne s'était-elle pas méfiée. Astucieux, elle les avait sous estimés.
"Mademoiselle, vous nous suivez depuis plutôt longtemps, trop à mon goût.
- N'ai-je pas le droit de me promener librement?
- Jamais personne ne vient ici, c'est suspect. Expliquez-vous."
Bien sûr, elle avait de la répartie, elle aurait su quoi lui répondre, et s'il le fallait, elle se serait battue ... Mais tout à coup, une voix qui ne lui était pas si inconnue l'interpella de l'autre côté de la rue.
"Hey! Lauren!"
Elle se retourna, et aperçut ... l'homme de la dernière fois, qu'elle avait arraché des griffes de Steel sur la plage. Ce dernier avait du prononcer son nom et l'autre l'avait retenu ... Le boulet. Mais en voyant comment elle pouvait faire évoluer la situation, elle s'aperçut soudain qu'il était possible d'en tirer profit au maximum ...
Elle se tourna à nouveau vers le garde du corps avec un sourire ironique.
"Rendez vous galant. On est plus tranquilles ici."
Lauren le laissa, sans faire plus attention à lui. Parvenue face à la fameuse mauviette, elle l'attira dans la rue adjacente. Il avait l'air gêné, et était rouge comme une écrevisse. Presque assorti à ses cheveux.
"Je voulais encore vous remercier, Lauren, j'ai été si bête la dernière fois ... Et face à ce type menaçant, vous aviez l'air en mauvaise posture, alors j'ai voulu vous tirer d'affaire ... Ce n'est rien par rapport à ce que vous avez fait, vous, mais j'ai pensé ...
- C'était très gentil de votre part, et c'est à mon tour de vous remercier du fond du coeur."
Il n'allait plus rien comprendre: elle avait été si froide auparavant! Mais peut être que si elle arrivait à se le mettre dans la poche, elle pourrait ... se servir de lui pendant sa traque ... comme appât ... ou comme coupable idéal. Il était maladroit, il serait facile de trouver des preuves pour le faire accuser si elle s'y prenait convenablement, et pour ça, elle excellait.
"Alors ... Si je vous invitais à prendre un café?
- Volontiers, cela fait longtemps qu'un homme ne m'a pas invitée ... Où allons-nous?
- Rainbow Town n'est pas loin, ça vous dit?
- Je vous suis."
Ils se mirent en chemin; Lauren l'observa à la dérobée. Oui, malgré sa faiblesse imparable, il était plutôt séduisant. Mais il allait devenir son jouet, son pion sur l'échiquier. Elle allait le rendre totalement folle d'elle, qu'il soit prêt à faire n'importe quoi. Même se jeter au milieu de gorilles enragés.

Rainbow Town

Il s'appelait Sullivan, souffrait d'une timidité qu'il s'efforçait tous les jours de vaincre, et il travaillait dans une boutique de vêtements, d'où l'intérêt de devenir sociable. Il avait 21 ans, comme Lauren. Il jouait de la guitare électrique, écrivait des chansons et des poèmes, et rêvait de faire le tour du monde. Assez banal de nos jours, en sorte. Lauren évita de parler d'elle, préférant poser les questions pour le mettre à l'aise, jusqu'à ce qu'il lui demande:
" Et vous, pourquoi êtes vous devenue Sbire? Pour l'argent?
- Je ne fais pas les missions qui rapportent le plus. Et ceux qui étalent leur richesse m'insupportent, je n'aime pas du tout le système de Bright City.
- C'est vrai? Moi aussi, j'en ai marre de ce capitalisme exacerbé ... J'aimerais qu'on revienne à des choses plus simples. Les gens ne sont reconnus que par leur argent, c'est la seule façon pour eux de briller. Ils cachent leurs faiblesses, leur solitude ou leur incompréhension de la nature humaine derrière une façade. Il n'y a pas de place pour la souffrance, pas de place pour les sentiments, rien. Ce ne sont que des enveloppes vides qui n'ont plus rien d'autre, dont le coeur s'est glacé sous l'effet des pièces de monnaie. On dit qu'ils ont déjà tout, mais ont-ils encore des rêves, des espoirs? Pensez-vous vraiment que le monde a un avenir?"
Lauren le considéra, abasourdie. Non seulement il venait de faire sa plus longue tirade mais de plus, la force de ses convictions surpassait la sienne. Elle aussi, elle ressentait cela, mais n'avait jamais su mettre de mots dessus. Pour peu elle aurait été admirative ..
"Excusez moi, Lauren, je vous ai coupée.
- Ce n'est pas grave, j'adhère totalement à vos idées ... Mais donc, si je veux de l'argent, c'est pour avoir les moyens de soigner ma jeune soeur atteinte d'une leucémie ..."
Et allez, continuons dans le cliché! C'était trop facile, elle pouvait voir à l'expression de Sully qu'il était dupe. Elle n'allait tout de même pas lui avouer que c'était parce qu'elle détestait les humains, qu'elle donnait une partie de son argent à un mouvement anarchique extrêmiste qui faisait des ravages dans les quartiers riches, et qu'il y avait une autre cause, plus profonde ...
"C'est triste! Au fond, vous êtes quelqu'un de sensible ... Vous tuez beaucoup de gens?"
Il avait demandé cela si innocement que Lauren éclata de rire.
"Non, pas toujours! Je tue les plus influents, je ne fais que capturer les Morphs pour Synapsos le plus souvent. Comme ça, je peux infiltrer la société peu à peu, trouver ses faiblesses. Parfois même, j'attends qu'ils me paye et je délivre discrètement mes proies."
Le début, c'était vrai. Le reste, avec cette image d'héroïne, beaucoup moins. Mais cela produisait son petit effet sur Sully ... Il était littéralement captivé par elle. Oui, ça allait être facile de l'utiliser.
Ils finirent par rester ensemble pour le dîner. Finalement, sa compagnie était assez agréable, il fallait l'avouer. Il réussit même à la faire rire. Parfois, ce sont les plus timides qui sont les plus exceptionnels ... Elle n'irait pas jusque là pour lui, mais c'était un principe qui s'était souvent vérifié. Et lorsqu'il la raccompagna chez elle, elle se rendit compte que finalement, elle estimait avoir passé une bonne soirée, comme cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. C'était donc comme cela que s'occupaient les femmes normales ... Il fallait dire que c'était un mode de vie plutôt séduisant.
"Lauren ... J'ai passé une merveilleuse soirée. J'espère que toi aussi.
- Bien sûr, Sully."
Elle lui décocha l'un de ses plus beaux et plus rares sourires, alors qu'il la contemplait sans rien dire, trop ému pour prononcer un traitre mot. Elle sentait tout son charme agir sur lui, cela se passait exactement comme elle l'avait prévu. Les hommes sont tous pareils, tellement naïfs lorsqu'il s'agit d'une jolie fille ...
Sullivan se rapprocha légèrement d'elle; le coeur de Lauren s'embala. Non pas de désir, mais de crainte. Tout son for intérieur hurlait "Ne me touche pas! Ne m'embrasse pas!". Non, elle ne voulait pas ressentir les sentiments d'un autre alors qu'elle même n'en était plus capable. Cela avait don de la dégoûter ... Sully était plus mignon que le Goret, sans hésitations, mais cela la gênait encore plus. Elle eut un mouvement de recul, par réflexe, lorsqu'il se trouva encore plus proche de ses lèvres. Il s'en rendit compte tout de suite, à en croire par la peine qui s'exprima sur son visage à l'instant même.
"Pardon, je n'aurais pas du. Je te comprends, et je respecte ce que tu ressens ..."
Lauren ouvrit des yeux étonnés. La majorité des hommes aurait soit essayé de l'embrasser de force, soit essayé de la faire culpabiliser, soit l'aurait insultée ... Sully était vraiment quelqu'un de très sensible. Mais aimait-elle vraiment cela chez un homme? Certainement pas. Elle était étrangère à toutes ces notions à l'eau de rose.
"Merci, Sully .. Je suis désolée, mais je ne suis pas prête.
- Pas grave. A une prochaine fois peut être ... Tu as mon numéro."
Et le beau rouquin disparut dans la nuit ... Mais où étaient donc les violons?
Lauren soupira de soulagement. Quelle idée aussi d'essayer de l'embrasser, elle le trouvait tout à coup beaucoup moins timide. Mais les femmes normales se laissent elles faire dès la première soirée? Si oui, quelles trainées ... Sur ces entrefaits, Lauren se mit au lit: demain serait une grande journée.

Sovereign Bay

Elle fut éveillée par un message de Mordecaï. Maudissant son chef - elle détestait qu'on la réveille de cette façon - elle fut forcée de se lever et d'aller voir ce qu'il pouvait bien lui vouloir ... Il s'agissait d'une rafle de plusieurs Morphs, et quelques autres Sbires étaient sur le coup. C'était dans l'esprit "Si tu croises un Morph, ramène le, il peut servir". Elle mènerait cette mission en parallèle, et avec brio, il l'en savait capable.Elle devait le ramener vivant pour une société de biochimie rivale de Synapsos, désireuse d'étudier ces cas étranges. 500 000 Moyins: un bon argent de poche, elle allait faire cela pour le plaisir. Mais pour elle, c'était maintenant secondaire: la récompense était moins importante, sans être totalement négligeable.
En sortant, elle se rappela Sullivan ... Elle devait à tout prix le soumettre et le convaincre de l'aider dans sa besogne. Alors, elle lui téléphona, et lui donna rendez-vous vers 14h aux Babylon Gardens: l'espoir pointait dans la voix du jeune homme, elle espérait réussir à tenir parfaitement son rôle.
Elle avait choisi le secteur japonais des jardins, dont la flore était extrêmement variée; la mairie avait divisé le parc en plusieurs zones, correspondant à une végétation particulière. Il y avait également le secteur tropical et sa mangrove, le secteur jardins à la française, le secteur bambouseraie, le secteur square et beaucoup d'autres ... et il y avait même une volière où étaient réunis les plus beaux papillons. Mais le secteur japonais restait son préféré, car il était empreint d'une sérénité que l'on ne trouvait pas ailleurs. Les cerisiers en fleurs avaient tendance à l'apaiser, et le pont qui enjambait la rivière décorée de nénuphars semblait sorti d'une estampe. Elle était assise sur l'un des bancs près de l'eau lorsque le jeune homme fit son apparition. A sa vue, il lui adressa un sourire charmeur qui fit écho au sien ...
"Bonjour, Sully. Je suis vraiment désolée pour hier soir.
- Ce n'est rien ...
- Tu t'es conduit en vrai gentleman."
Ce compliment eu pour effet de faire rougir Sullivan, qui pourtant ne se sentait pas si gêné, pour une fois. Il semblait être tellement heureux d'être avec Lauren ...
Ils passèrent la journée à discuter, à se promener parmi la verdure. La jeune femme devait bien l'avouer: elle se sentait bien avec lui, mieux qu'avec aucun autre homme. Sa faiblesse était compensée par un grand nombre de qualités, qu'elle aurait méprisé en temps normal. Ainsi, il avait réussi à faire naitre un début de sentiment d'amitié en elle ... Mais qu'est ce que l'amitié, dans ce monde hypocrite? Elle n'aurait aucun scrupule à le livrer aux hommes de Doliver s'il fallait le placer en bouc émissaire.
Alors que le jour touchait à sa fin, ils prirent un dîner dans un restaurant libanais réputé. Et quand vint l'heure de raccompagner Lauren qui se sentait épuisée par tant d'efforts pour masquer sa réelle personnalité, Sullivan semblait être sur un petit nuage.
Bon, cette fois ci, il fallait se jeter à l'eau ... Elle ne lui ferait jamais faire ce qu'elle voulait si elle ne s'abandonnait pas à lui rapidement.
"Tu veux entrer?"
La réponse positive ne se fit pas attendre. Tandis qu'il visitait les lieux, Lauren fila dans la cuisine pour préparer un café. La gorge nouée, elle y fit tomber un petit comprimé d'aphrodisiaque dans le liquide brûnatre ... qui se dissolut instantanément. Elle ne pouvait plus reculer.
Revenue dans le salon, elle servit Sullivan, et le regarda boire en essayant de masquer son dégoût ... C'était elle qui était obligée de faire le premier pas, dans sa logique des choses. Elle qui devait se livrer alors qu'elle n'en avait pas tellement envie ... Il venait de reposer sa tasse. Lauren se mordit les lèvres, contrariée; la seconde d'après, elle avait adopté une expression charmeuse. Elle s'approcha du jeune homme, et délicatement, passa ses bras autour de sa nuque pour l'attirer vers elle ... Elle emprisonna ses lèvres entre les siennes et l'embrassa avec toute la tendresse qu'elle pouvait donner. Il lui répondit en l'enlaçant et en l'attirant contre lui ... Il sentait bon, finalement ce n'était pas si désagréable ... Leur baiser s'interrompit, et Sullivan rouvrit les yeux pour plonger son regard dans le sien. Il vint caresser sa joue du bout de ses doigts, et murmura:
"Tu es fantastique, Lauren ..."
A nouveau, ils s'unirent; la jeune femme pouvait sentir le corps brûlant de Sully tout contre elle, sans avoir de mouvement instinctif de recul. C'était déjà cela de gagné ... Elle se sentit soulevée du sol, et transportée dans sa chambre. Elle n'avait jamais imaginé qu'il pourrait montrer autant de vigueur, mais tout était fait sans mouvement brusque, aussi ne se sentait-elle pas agressée ... Il la déposa sur son lit et caressa le creux de son cou du bout de ses lèvres. C'était bon, mais Lauren dut tout de même se forcer à gémir. Elle lui répondit par une caresse de sa langue sur son torse, qu'il sembla apprécier énormément. Ils se découvrirent ainsi jusqu'à l'acte en lui même, qui ne lui procura aucun mal mais aucun plaisir débordant non plus. En revanche, Sullivan semblait au paradis.
"Je t'aime, Lauren ... Tu es fabuleuse ..."
Il referma les yeux, le sourire aux lèvres. Celui de Lauren fut plus carnassier: Enfin, elle avait ce qu'elle voulait. Il était temps de passer à la phase deux de son plan.

[Hum je suis désolée de cette si longue interruption dans cette fic génialissime, mais pas de panique chers fans, je viens consoler vos petits coeurs malheureux, et vous évite le suicide ... ]

Sovereign Bay

La Sbire s'éveilla en milieu de matinée: Sullivan s'était déjà éclipsé. Seul, un mot de sa fine écriture en italique attestait de sa présence de la veille: "Tu dormais si profondément que je n'ai pas osé te réveiller. Je t'appelle bientôt. Je t'aime."
Les derniers mots eurent pour effet de lui reserrer le coeur. "Je t'aime" ?? C'était bien la première fois qu'on lui disait quelque chose de la sorte. Et c'était bien la preuve qu'elle avait joué son rôlé à la perfection. Elle avait presque gagné ...
Mais maintenant, il fallait qu'elle aille faire un tour dans les Bas-Fonds, histoire de se mettre au parfum des actions de Doliver. Elle avait des espions partout, surtout parmi ceux qui faisaient la manche dans les quartiers du Bright City Center. La police venait souvent les déloger, mais il leur suffisait de se grimer autrement, et de revenir une fois que les officiers avaient le dos tourné ... Aujourd'hui, ils avaient de bonnes nouvelles à lui apprendre: le mafieux et tout son attirail devaient se rendre dans les Babylon Gardens, près de la cascade en amont du petit lac. Vous avez dit "discret"? Mais qu'est ce qui lui disait que cela ne cachait pas quelque chose? Après tout, elle avait failli se faire prendre à son propre piège par le garde du corps en civil.
Elle se rendit donc à l'endroit convenu, à l'heure indiquée. Il y avait peu d'affluence, seulement quelques amoureux qui venaient se sussurer des mots doux près du flot tumultueux. Ils devaient certainement trouver du romantisme là dedans. Mais sur place, aucune trace de Doliver ... Pourtant, ce n'était pas dans ses habitudes de ne pas être ponctuel.
Il n'y avait qu'un couple solitaire, dont elle s'était rapidement éloignée, et dont son attention s'était rapidement détournée. Mais l'ennui et la déception de n'avoir rien trouvé la firent revenir sur son avis: elle pourrait mieux séduire Sullivan si elle essayait de comprendre comment se comportaient deux vrais tourtereaux. Depuis tout à l'heure, ils s'embrassaient à la chaîne, sans rien se dire entre temps. Les mystères d'une relation fusionnelle ...
Un autre détail attira son attention. Quand elle était arrivée, il lui semblait que l'homme était joufflu. Et maintenant ... Il l'était moins: effet d'optique ou bien?
Elle secoua la tête, et se concentra davantage sur la scène qui se déroulait sous ses yeux: Il l'embrassait, mais cela ne durait pas plus de quelques secondes; ils prenaient un temps de pause, pendant lequel la femme semblait ... non, semblait avaler quelque chose? Lauren cligna des yeux. Oui, elle avait bien vu ...
Elle était abasourdie par les méthodes qu'employaient les dealers de nos jours: de loin, un simple couple qui prend du bon temps. De près, un homme qui porte plusieurs capsules hermétiques d'héroïne ou de cocaïne peu importe et qui embrasse sa soit disant copine, laquelle avale les doses après qu'il lui ait poussé dans la bouche. Le principe de la mule, comme dans les aéroports. Il fallait dire que c'était ingénieux.
Les deux passeurs se séparèrent: ils ne se connaissaient déjà plus, ils seraient bientôt remplacés par d'autres, leur échange avait été si court ...
Lauren resta sur les lieux, en état d'alerte. Elle était doté d'un odorat particulièrement développé, qui lui avait signalé un danger: les arbres ne portent pas d'Hugo Boss, ni de Scorpio, encore moins de Shaman. Combien étaient-ils à avoir épié la scène, prêts à intervenir en cas de problème? Elle pouvait presque sentir leur présence, oui, comme dans ces films de série B. Elle estima leur effectif à quinze. Et n'était pas sûre de pouvoir les maîtriser seule ... Ils devaient la trouver méfiante. Elle, devait intervenir.
"Lauren !!"
Elle se retourna, et n'en crut pas ses yeux: Sullivan. Encore là pour la tirer d'affaire ... Les coïncidences existaient-elles réellement? Il fallait croire que oui. Elle se jeta dans ses bras.
"J'allais t'appeler ... Tu m'as devancé. Je suis désolée d'être sortie sans toi mais je pensais que tu travaillais ...
- Oui, c'était le cas jusqu'à il y a un quart d'heure. En sortant de la boutique, je suis venu ici dans le but d'acheter des fleurs à un marchand ambulant, et de passer chez toi ...
- Tu es adorable."
Sans réfléchir, elle l'embrassa avec toute la langueur dont elle était capable. A la manière dont le jeune homme caressa ses cheveux, elle comprit qu'il appréciait ce traitement de faveur. Une bonne chose pour la suite.
Elle le prit par la main, et l'entraîna loin de ce cercle oppressant. Une fois de plus, il semblait si heureux d'être avec elle ... Elle le laissa raconter sa journée, n'écoutant que d'une oreille mais mimant un regard passionné envers lui. Elle réfléchissait à une centaine de choses à la fois, et surtout à cette évidence qui la décevait: elle venait encore de rater Doliver. Pourtant, il était certainement là, camouflé avec toute son armée d'armoires à glace ... La prochaine fois, peut être. Mais cela prouvait une chose: les habitants des Bas-Fonds ne se trompent jamais, il fallait se méfier des apparences.
"Et toi ... Comment s'est passée ta journée?
- ...
- Lauren, ça va?"
La jeune Sbire avait décidé de sortir le grand jeu, et de feindre une immense tristesse. Elle avait prévu toute une scène mélodramatique. C'était tout un art d'être bonne actrice ... Les larmes aux yeux, elle murmura:
"Je n'en peux plus de ma vie. Je ne supporte plus mon métier. Mes missions. Mes primes exorbitantes. Ce capitalisme ravageur. Cette ville où tout brille, où tout n'est que fortune et illusion. J'ai bientôt réuni assez d'argent pour pouvoir quitter cet endroit et partir m'installer ailleurs ... Je veux fuir, partir et tout recommencer à zéro, dans un endroit où la pression de la richesse est moindre."
Elle marqua une pause, et estimait avoir assez chargé sa voix d'émotion. Elle fixa Sullivan droit dans les yeux, et s'apprêta à reprendre sa tirade; mais il la coupa.
"Alors, fuyons tous les deux, loin d'ici. Tu veux partir? Je te suivrais. Tu risques de me dire que l'on se connait depuis trop peu de temps pour aller s'installer ensemble, ailleurs. Mais j'ai toujours rêvé de partir. Et s'il y a bien une chose dont je suis sûr, c'est que je t'aime, Lauren. Malgré ton activité, malgré tout. Je n'ai jamais ressenti quelque chose d'aussi fort pour aucun autre être humain. C'est bête, hein? Mais c'est ainsi. Tu trouves peut être que tout va trop vite. Si tu veux, j'attendrais encore un peu avant de te suivre, je ne veux pas que tu te sentes mal à l'aise de vivre avec moi. Alors, qu'en penses-tu? Laissons nous tout tomber pour quitter ce monde qui nous étouffe tous deux?
- Sullivan ..."
Lauren ne savait pas quoi penser. Cette proposition ... Bien sûr, le fond de sa propre pensée était réelle, elle rêvait souvent de quitter Bright City ... Mais elle perdrait toute l'excitation d'être Sbire, et de traquer sans cesse. Aussi ne s'était elle pas engagée dans des rêves qui la mèneraient dans une impasse. Mais à travers les mots de Sully, tout avait l'air de devenir si réel, si accessible, si ... séduisant. Etait-il possible qu'elle, Lauren, ait été touchée par les mots de ce garçon rêveur? Non, non et non, elle ne devait même pas y penser. Mordecaï et Steel avaient raison: elle changeait. Négativement. Tout ça, c'était du vent. Elle avait sa petite maison à Sovereign Bay, et comptait y rester.
"Oui, fuyons tous les deux."
Cinq mots, cinq seulement, qui réussirent à illuminer le visage de Sullivan. Il semblait avoir atteint le Paradis rien qu'avec cette phrase. Etait-ce possible qu'un humain ressente un sentiment aussi fort pour un autre? Lauren avait du mal à y croire. C'est bon, ce n'était qu'une promesse d'un avenir futile ... Elle imaginait sa désillusion lorsqu'il croupirait en prison à cause d'elle ...
"Mais d'abord, je dois finir ma mission, Sullivan. Et il faut que tu m'aides. C'est la clé de notre bonheur ... Tu connais Doliver?
- Le mafieux? Bien sûr, tout le monde en a entendu parler au moins une fois ici.
- Je dois le tuer.
- Vraiment? Ce ne serait pas une grande perte pour Bright City. Au contraire, ce serait même l'idéal qu'il disparaisse.
- Alors, est ce que tu penses être en mesure de m'aider? De me faire confiance, jusqu'au bout, quoi que je te dise de faire?
- Bien entendu! Je te fais entièrement confiance, je serais ton esclave si tu le veux ..."
Ce qui fit sourire Lauren. Sullivan ... Il était vraiment naïf ...

[Je l'avais oubliée, ma fic ô_O]

Sovereign Bay

Ils avaient à nouveau passé la nuit ensemble, mais cette fois ci, Sullivan était resté car c'était le jour de son congé hebdomadaire. Alors, lorsque Lauren se réveilla, il était encore étendu à ses côtés, dans la lumière du matin. De ses yeux ensommeillés, elle contempla son corps frêle, jusqu'à glisser sur sa hanche découverte et y trouver ... Son coeur s'emballa et ses yeux se mirent à briller: la cicatrice caractéristique des Morphs. Sullivan était un Elu! Elle n'arrivait pas à y croire ... et faillit éclater de rire. Il avait donc oublié qu'elle était Sbire? Pourtant, son tatouage, ses allusions ... Il pensait peut être qu'elle l'aimait, qu'elle ne lui ferait jamais de mal, qu'elle chercherait une autre proie. Quelle idée! Un Sbire est égoïste, un Sbire n'a jamais de sentiments pour autrui, encore moins s'il s'agit de l'épargner. Ainsi, elle allait faire d'une pierre deux coups ... ramener Sullivan à Synapsos et l'utiliser pour tuer Doliver. Du coup, cela bouleversait beaucoup de choses: elle devait le faire accuser à sa place, le tirer d'affaire pour mieux le livrer par la suite. Tout ceci lui paraissait bien compliqué, mais pas infaisable.
A son tour, l'intéressé ouvrit les yeux, et adressa un sourire encore ensommeillé à Lauren.
"Salut beauté ..."
... Et se recoucha dans la seconde qui suivit. La jeune femme fit un rapide passage dans la salle de bain, histoire de se débarbouiller pour mieux attaquer la journée. Sullivan la suivit quelques minutes plus tard, ayant fait un effort pour s'extraire de la sensation si délicieuse de la couette sur sa peau nue, et après un petit déjeuner commun, ils décidèrent d'un commun accord d'aller se promener à Rainbow Town. Non pour une frénétique envie de shopping, mais pour se rendre dans les environs du Red Palmer: Doliver devait aller faire une visite d'inspection en fin de matinée, ce qui leur laissait tout le temps pour préparer un plan d'attaque.
Environ une demi-heure plus tard, ils étaient sur le qui-vive. Le cabaret était légèrement excentré par rapport au reste du quartier, ce qui garantissait une tranquilité infaillible à cette heure ci. Lauren avait prêté une arme à feu à Sullivan: son rôle était de barrer la route - comme il le pouvait - aux gardes du corps, de menacer leur patron ouvertement puis de se servir d'explosifs peu puissants, et de s'enfuir. Dans la logique des choses, il se ferait courser par quelques gardes; Lauren allait s'occuper de ceux qui seraient restés - à 5 contre une elle saurait s'en sortir - et ainsi elle pourrait capturer Doliver.
Mais pour l'instant, il n'y avait toujours personne. Se seraient-ils fondus dans le paysage comme la dernière fois? A moins qu'ils ne deviennent invisibles en se plaquant contre les murs tels des caméléons, il n'y avait personne ... Sullivan décida de faire le tour du bâtiment, laissant Lauren seule.
Il n'était pas parti depuis plus de trente secondes qu'un crissement sur le gravier mis la jeune Sbire aux aguets. Elle se retourna vivement, s'attendant à se retrouver face aux mafieux. Mais il n'en était rien ... Il s'agissait d'un homme d'une trentaine d'années, un inconnu, qui la jaugeait du regard. Il y brûlait une sorte de haine farouche qui plongea la jeune femme dans la plus totale incompréhension.
"Bonjour, monsieur ... Un problème?
- Sbire !!!"
Son ton était si féroce qu'il la fit sursauter. Avant qu'elle n'ait pu reprendre la parole, il continua:
"Votre tatouage! Il dépasse de votre pantalon ... Vous devriez avoir honte !! Honte !! Vous êtes un monstre !! Vous êtes une abomination !!
- Excusez moi, mais ...
- Taisez-vous !! "
A présent, il avait sorti une arme, à portée et à précision beaucoup plus grandes que celle de Lauren. Elle n'aurait pas le temps de sortir la sienne qu'il aurait déjà tiré.
"Que me voulez-vous?
- Vous tuer, comme on a essayé de me tuer il y a peu !! Mais je me suis défendu, oh oui, je suis redoutable ... Tous les Morphs ne sont pas de faibles proies dont on peut se saisir si facilement ... J'ai mis un Sbire dans un sale état! Le Morph Lion, cela vous dit quelque chose?"
C'était donc lui .. Effectivement, s'il avait réussi à mettre à mal l'un de ses collègues, c'est qu'il devait être d'un haut niveau, question combat. Lauren resta silencieuse.
"Vous avez peur, n'est ce pas ... Allez, nous sommes seuls! Vous n'aurez pas le temps de dégainer. Adieu, j'espère que votre mort sera longue et douloureuse."
Son doigt pressa la gachette, mais Lauren avait déjà bondi, si bien qu'elle n'eut qu'à rouler sur le côté pour esquiver la balle meurtrière. Elle dégaina rapidement ses poignards et fondit sur son agresseur. Ce dernier se baissa juste à temps pour ne pas se faire trancher la gorge d'un coup sec, et d'un saut de main agile, asséna un coup de pied dans le menton de Lauren et retomba parfaitement sur ses pieds. La jeune femme, un peu sonnée, eut tout le même le temps de se déporter sur le côté pour ne pas recevoir une autre balle. Elle espérait qu'il ne lui avait pas cassé la mâchoire ... Mais une chose était sûre, c'est qu'il l'avait énervée. Au maximum de sa vitesse, elle lança un de ses poignards qu'il ne vit arriver que trop tard; au lieu de se le prendre en plein coeur, il s'était décalé pour qu'il se plante dans son épaule gauche. Il hurla ... un hurlement qui s'apparentait à un rugissement. Il tira une dernière balle, que Lauren esquiva à nouveau en se plaquant au sol, se rapprochant de son adversaire pour tenter de le mettre à terre grâce à une balayette. Mais il avait déjà bondi, et durant son ascension, sa peau se couvrit d'une fourrure fauve, puis ses cheveux se murent en crinière. Son visage s'épaissit, un museau prit la place de son nez; ses bras et ses jambes se raccourcirent, son bassin changea de morphologie et enfin, une queue pointa de son coccis. Ce fut un imposant lion qui retomba sur le sol et qui poussa un rugissement à faire trembler le sol. Toutes griffes sorties, il se jeta sur Lauren, qui avait placé un poignard entre ses dents; ce qui lui permit en se baissant de faire une profonde entaille dans le ventre de l'animal. Le sang épais tombé sur ses paupières l'aveugla pendant quelques secondes, mais le fauve dégageait tellement de chaleur qu'il n'était pas difficile de savoir où il se trouvait. Elle réussit à échapper à ses attaques les yeux fermés quelque temps, mais il ne s'agissait pas de tester la nouveauté quand le dénouement était si important. Elle jouait sa vie. Elle voulait continuer à ressentir quelque chose d'aussi excitant encore, et encore ... C'était sa façon à elle de se sentir vivante.
L'animal était de nouveau face à elle, et grondait en avançant doucement. Lauren s'apprêtait à riposter lorsqu'un bruit venu de son angle mort la fit se retourner, par réflexe: il s'agissait peut être des mafieux? Non, même pas de Sullivan. Une seconde d'inattention: une seconde de trop. Les griffes se refermèrent sur sa gorge, et elle se retrouva plaquée au sol, maudissant son erreur digne d'une débutante. La bave qui s'écoulait de la gueule de la bête venait se loger dans son cou meurtri, alors que les crocs scintillants s'approchaient de plus en plus de son visage ... Elle avait beau se débattre, elle ne parvenait pas à se dégager. L'haleine du lion était brûlante, et suffocante. Elle tenta d'atteindre son poignard caché dans sa botte, mais ce ne fut pas nécessaire.
Le fauve se releva soudain, les yeux au ciel, effaré; il gronda à nouveau, de rage cette fois ci. Son corps imposant masquait sa vision de la scène, mais un éclair cuivré lui indiqua qu'il s'agissait de Sullivan ... Profitant de son avantage, elle se décala légèrement, pas assez pour se délivrer. Le jeune homme semblait avoir utilisé un morceau de verre et l'avait planté dans la cuisse de l'animal. Il l'avait ensuite frappé au flanc, puis au garrot. Ses yeux verts brillaient d'une détermination farouche que Lauren ne lui connaissait pas.
Mais le lion ne lâcha pas prise: il tenait à tuer la Sbire avant de s'attaquer à ce moucheron. Ses crocs allaient à nouveau s'abattre sur sa gorge, quand d'autres vinrent s'interposer. Un éclat roux, qui parvint à le retenir un tant soit peu. Un renard. Mais il n'avait aucune chance contre une si grosse bête, il paraissait si frêle ... Le sol se mit à trembler; une faille se forma au niveau de l'arrière-train du lion. Lauren cligna des yeux: comment ... ? Le félin perdait peu à peu l'équilibre, et menaçait de glisser au fond du gouffre. Il dut laisser tomber son entreprise, et se raccrocha à la terre ferme un peu plus loin au dessus de Lauren, et fila dans les rues désertes.
La jeune femme put enfin reprendre son souffle; Sullivan, ayant repris forme humaine, s'approcha d'elle pour juger de ses blessures. Par chance, elles étaient plutôt superficielles. Lauren avait encore très mal à la mâchoire, mais le jeune homme, en l'examinant, lui affirma qu'elle n'avait rien de cassé.
"J'ai fini par te rendre la pareille ..."
Elle ne disait plus rien, ou plutôt, n'osait plus rien dire. N'osait y croire non plus. Lui, il était venu à bout de ce lion ... pour elle? Elle ... avait été si bête ... et lui n'était pas si faible que cela. Il avait été tout simplement merveilleux. Alors qu'elle sentait qu'il la prenait dans ses bras pour la porter, à l'hôpital certainement, elle se sentit glisser vers l'inconscience ...